Le droit au doute scientifique

Publié le par drzz

Par Claude Allègre, géophysicien, est ancien ministre (PS) de l'éducation. Le Monde, 2006. Repris de l'institut Hayek.

A-t-on le droit d'émettre des doutes sur une théorie scientifique "officielle", estampillée par les médias et les politiques ? A partir des années 1980, un groupe de scientifiques a défendu l'idée que l'augmentation de la teneur en gaz carbonique dans l'atmosphère allait conduire à un réchauffement généralisé du climat de la Terre, à partir d'un mécanisme physique bien connu, l'effet de serre. C'est-à-dire l'absorption par certaines molécules, dont le CO2, mais aussi l'eau et le méthane, des rayons infrarouges émis par la Terre chauffée par le Soleil.

Ce groupe de scientifiques s'est organisé à l'échelon international sous l'égide des Nations unies pour rédiger des rapports officiels et promouvoir la recherche en climatologie. Sous-jacente à cette démarche, l'idée que l'homme est coupable et que nous courons à la catastrophe planétaire. Aujourd'hui, la climatologie est devenue une science à la mode, et ses budgets de recherche ont été multipliés par des facteurs importants (sans doute presque 10 aux Etats-Unis). Du point de vue médiatique et politique, cette théorie est devenue pour certains une certitude, une vérité incontestable.

L'idée de réunir des experts pour connaître l'état de la science et permettre ensuite aux politiques de décider paraît logique. Malheureusement, lorsqu'on se trouve dans un domaine où la science est en pleine évolution, où les découvertes se succèdent, où rien n'est simple, les interprétations sont variées, et variables. La "vérité" scientifique - si tant est que cette expression ait un sens - ne s'établit que petit à petit, disons après une génération. La science est un processus de démocratie différée ! Or, aujourd'hui, on assiste à la mise en place d'un consensus s'appliquant à tout, à tous, et tout de suite !

Tous les quatre ans, un premier panel international de scientifiques réalise un premier rapport. Celui-ci est transmis à un second panel composé de représentants des gouvernements (certains sont scientifiques, d'autres non) qui établit le consensus sur un scénario. Le premier rapport, très volumineux, contient des points de vue assez nuancés, mais il n'est guère lu. C'est le second rapport, plus court, plus politique, plus affirmatif, quidevient de fait la vérité officielle. On imagine les effets de la même procédure appliquée aux OGM ou aux cellules souches !

A lire : Claude Allègre également : "Dans la même quinzaine, on a vu les photos spectaculaires de Yann Arthus-Bertrand montrant le Kilimandjaro déplumé, sans ses neiges, et l'on a immédiatement entendu le refrain sur le réchauffement de la planète et lu dans la revue Science un important article d'une série d'éminents glaciologues qui montre que, en trente ans, le volume des glaces antarctiques n'a pas varié (1). Tous les spécialistes sont d'accord: si un réchauffement général du globe a lieu, il sera beaucoup plus important près des pôles qu'à l'équateur. Or ces auteurs expliquent qu'en certains endroits du continent Antarctique il y a une destruction massive de la banquise, mais qu'ailleurs il y a épaississement de la glace."

Cette manière de faire ressemble à celle qui eut lieu autrefois dans certains régimes et qu'on ne veut pas revoir dans le monde libre. L'épisode actuel n'est qu'une petite manifestation de cette pratique de dictature intellectuelle.

On nous dit que 99 % des scientifiques sont d'accord ! C'est faux. Quatre-vingts scientifiques canadiens, dont beaucoup de spécialistes du climat, ont écrit au premier ministre pour le mettre en garde contre le prétendu consensus. En France, des scientifiques et ingénieurs m'écrivent pour dire que, mettant en doute la vérité officielle, ils ont été empêchés de s'exprimer. Enfin, l'article publié dans le Wall Street Journal du 12 avril, "Climat de peur", écrit par l'un des plus grands météorologues mondiaux, professeur au MIT, Richard Lindzen, raconte comment des scientifiques de talent ont perdu leur poste pour avoir contesté la vérité officielle, et comment d'autres ont perdu leurs moyens de recherche. Il ne parle pas de la campagne de calomnie que l'on a orchestrée pour le salir, l'accusant d'être à la solde des compagnies pétrolières, ce qui est infâme !

Heureusement, en France, on n'en est pas encore là ! Alors pourquoi ces réactions violentes face à mes doutes et mes questions ? Ces mêmes attaques que la médecine développait contre le chimiste Pasteur, ou que les géologues développaient contre le climatologue Wegener !

La raison de tout ce tintamarre est la peur. Car plus les recherches climatologiques avancent, plus la vérité officielle apparaît fragile. L'eau est le principal agent de l'effet de serre, 80 fois plus abondant que le CO2 dans l'atmosphère, or on arrive difficilement à modéliser le cycle de l'eau, notamment parce qu'il est difficile de modéliser les nuages, de déterminer la proportion de cirrus (qui contribuent à réchauffer) et celle de stratus (qui refroidissent). Le rôle des poussières naturelles, industrielles et agricoles est également mal compris, notamment dans la nucléation des nuages. De la même façon, on constate que les teneurs en composés soufrés dans l'atmosphère ont décru depuis trente ans, mais on connaît mal leur rôle, alors qu'ils sont des agents potentiels de refroidissement. Il apparaît aussi que le rôle du Soleil a été sous-estimé. Sans parler des effets possibles du rayonnement cosmique galactique, comme viennent de le proposer, avec expériences à l'appui, des scientifiques danois.

Mon collègue Le Treut lui-même soulignait dans son discours devant les cinq Académies (Le Monde du 25 octobre) combien les modèles étaient entachés d'incertitudes. Ce qui est positif dans tout cela, c'est que l'Académie des sciences va organiser un débat contradictoire sur le sujet. Pour la première fois, il sera possible de comparer les opinions des uns et des autres. Ce débat entre scientifiques, et devant les autres membres de l'Académie, permettra dans la sérénité d'établir non pas la vérité, mais l'état des lieux. Ensuite, publication à l'appui, chacun pourra juger.

J'ai connu des combats semblables lorsque, avec quelques collègues, je défendais la théorie de la tectonique des plaques, en France, au début des années 1970, face à une communauté scientifique majoritairement hostile. Je fus calomnié, accusé par certains d'être un agent de la CIA chargé de propager une théorie américaine d'autant plus qu'en même temps j'incitais les Français à publier en anglais dans les revues internationales ! Plus tard, j'ai défendu le rôle indispensable des observatoires volcanologiques pour prévoir les éruptions, plutôt que le secours des "gourous". J'ai mené d'autres combats dans ma spécialité, souvent seul ou presque, critiqué un jour, honoré dix ans après. J'ai donc une certaine habitude de lutter contre les majorités et de m'opposer aux "consensus", et je sais qu'historiquement la science n'a fait de grand progrès qu'à travers de grands débats. Je sais aussi que je peux avoir tort, et je n'aurai dans ce cas aucune peine à changer d'avis, mais je suis sûr que le doute est par essence porteur de progrès.

Mais que personne ne se méprenne, je ne suis nullement un défenseur du productivisme. Je sais que l'homme malmène la planète, je sais que l'eau est un problème, que le CO2 acidifie l'océan, que la biodiversité est menacée, qu'il faut modifier nos pratiques, économiser la planète, respecter la Nature. Je dis, simplement, ne nous trompons pas de combat et prenons les mesures appropriées.

Je revendique haut et fort l'écologie réparatrice par opposition à l'écologie dénonciatrice. Pour pratiquer la première, il faut séparer les problèmes et les résoudre un à un. Comme on l'a fait pour le plomb dans l'atmosphère, les chlorofluorocarbones pour la couche d'ozone, les composés soufrés pour les pluies acides, etc. Dans l'écologie dénonciatrice, on mélange tout : le réchauffement climatique, la biodiversité, la pollution des villes, la population mondiale, l'assèchement de la mer d'Aral, etc. Avec comme résultat de susciter la peur... et de ne finalement rien résoudre, écrasé par l'immensité des défis.

Je revendique le droit de dire que j'émets des doutes sur le fait que le gaz carbonique est le principal responsable du changement climatique. Horreur, au pays de Descartes, je revendique le droit au doute !

D'autres articles sur le même sujet : les impostures écologico-millénaristes

Publié dans drzz

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Le doute : mais c'est la base de toute démarche scientifique.C'est l'attitude indispensable de tout scientifique.Par contre opposer l'écologie dénonciatrice à l'écologie réparatrice au nom du risque de tout mélanger c'est de la bouffonerie du point de vue des causes.Ne pas vouloir voir des causes similaires à des effets similaires, ne pas vouloir voir dans les desastres écologiques l'irresponsabilité des hommes, c'est accepter les désastres à venir. C'est irresponsable. Il est indispensable de mettre une dose de pollueur payeur, de manière à responsabiliser les décideurs - et non pas faire payer à tous les catastrophes de quelques uns.C.A. semble voir les écologistes comme des hurleurs hystériques, c'est un point de vue qui montre une tournure d'esprit inquiétante, un état d'esprit de dénigrement à priori, en aucun cas une attitude logique et pragmatique.C.A. est pour changer de comportement - il constate les catastrophes, il doute de la justesse des modèles (qui ne le ferait pas ?). Personne n'a dit que le pire est certain, sauf les imbéciles, personne ne croit que le pire est certain sauf les imbéciles et C.A. ne le dit pas non plus.Mais ce qui certain : il y a de fortes dégradations de notre environnement, elles ont été niées par les industriels et autres prédateurs. Cela menace le bien vivre des hommes, c'est une certitude. Ne rien faire est un crime contre l'hummanité.Or je vois bcp de gens qui refusent d'admettre les problèmes.C.A. ne les nie pas !!!
Répondre
L
Avis aux personnes qui critiquent la valeur scientifique de Claude Allègre:<br /> dans le classement par catégories des meilleurs scientifiques de la planète, réalisé par l'Université de Pékin, Claude Allègre est Numéro Un mondial pour la géophysique.
Répondre
L
Bravo à "peu importe": le texte vers lequel il a placé un lien est très intéressant.
Répondre
T
Juste un petit passage pour signaler ce site informatif sur la question de "l'effet de serre", pour ceux que çà intéresse :<br /> http://www.manicore.com/documentation/serre/index.html<br /> Bonne lecture
Répondre
P
Je voudrais vous signaler l'interview d'un scientifique russe qui attribue le réchauffement de la terre à une suractivité du soleil, et prévoit une baisse des températures vers 2012<br /> http://www.armees.com/Le-soleil-responsable-du-rechauffement-climatique,14799.html<br /> Cela pourra vous servir pour un futur article.<br />  
Répondre