La chute d'Ahmadinejad
Par Pierre Lefebvre, Primo-Europe, http://www.primo-europe.org/
Ahmadinejad est de plus en plus critiqué dans son pays. Pour contrer l’insatisfaction grandissante, il vient de décider d’une campagne d’essai de missiles, par ses anciens collègues de travail, les Gardiens de la Révolution.
La ficelle qui consiste à flatter l’orgueil d’une nation peut faire recette quelques temps mais montre vite ses limites, comme certaines dictatures ont eu l’occasion de s’en apercevoir (Ancien bloc de l’Est, dictatures d’Amérique Latine et d’Afrique). Le malheur est que les chutes de ses dictatures ont provoquées l’émergence de régimes souvent pas plus fréquentables.
La colère croissante en Perse ne se cache plus et brave la censure. C’est le signe d’un affaiblissement du régime qui peut aboutir sur une destitution, un coup d’Etat. Par manque de soutien, la perspective d'une puissante réaction du régime en place semble fort improbable.
"Le gouvernement s'est fixé des objectifs idéalistes comme de s'attaquer aux problèmes du logement et au chômage (...) mais aucune solution n'a été proposée", déplore le parlementaire conservateur Mohammad Khochchehreh, qui avait fait campagne pour Ahmadinejad. Il a été "fort sur les slogans populistes mais faible dans la réalisation".
Même les journaux s’y mettent. "Supposez-vous vraiment que des gens comme (Hugo) Chavez et (Daniel) Ortega (...) puissent être les alliés stratégiques de l'Iran?", lançait mardi le quotidien "Etemad-e-Melli" à l'adresse d'Ahmadinejad. "Nous ne devrions pas construire une maison sur l'eau."
Il est de plus en plus reproché au président iranien son désintérêt pour la politique intérieure et son trop grand investissement dans le bras de fer qui l'oppose à l'Occident et Israël.
Les sanctions de l’ONU qui se mettent en place sont certes importantes, mais elles ne toucheront, comme celles de l'Irak il y a quelques années, que les pauvres et la classe moyenne. Les "dix nouvelles résolutions n'affecteront pas notre économie et notre politique" fanfaronne le président iranien qui multiplie les promesses de raser gratis demain à un peuple qui commence à avoir faim.
Présentant le budget pour l'année à venir, il a affirmé que le gouvernement avait "complètement contrôlé les prix" de certains biens de base, le pain, le gaz, l'eau et l'électricité. Mais on parle, en douce, d’une inflation de 30 %. Les prix des légumes ont triplé ces dernières semaines, ceux des logements ont doublé depuis l'été.
Nombre d'Iraniens l'accusent maintenant ouvertement d'avoir sacrifié ses promesses sur l'autel de son affrontement rhétorique avec l'Occident. Tant et si bien qu'aujourd'hui, l'ancien maire de Téhéran est non seulement contesté par les réformateurs mais aussi par les conservateurs.
Dans la discrétion la plus totale, les milieux économiques internationaux anticipent et quittent le navire en attendant des jours meilleurs.
La deuxième banque allemande, Commerzbank, va mettre fin à une partie de ses activités avec l'Iran, a indiqué son porte-parole suivant l'exemple de plusieurs consoeurs européennes.
Plusieurs établissements financiers ont déjà pris des décisions similaires comme les institutions suisses Le Crédit Suisse et UBS, qui ont interrompu leurs opérations avec l'Iran.
La pression des Etats-Unis sur ces grands ensembles économiques ne suffit pourtant pas à expliquer cette hâte soudaine. Le monde économique n’obéit qu’à ses propres règles.
Mais Ahmadinejad, dans sa folie anti-occidentale, est en train de toucher aux intérêts financiers des principales fortunes iraniennes, comme celle de Rafsandjani, l’ancien président et religieux conservateur « modéré ».
Les religieux « hommes d’affaires », Khamenei à leur tête, commencent à montrer les dents, renforcés par leur récente victoire à deux élections importantes (Lire sur Primo Ahmadinejad se prend une gifle, 17 décembre 2006)).
Les non-alignés et partisans de l'Iran que l'on voit encore manifester dans nos rues au nom de la lutte contre le capitalisme et pour les peuples arabes humiliés font semblant d'ignorer que le grand capital n'est pas seulement occidental. Il est aussi islamique.
Les seules valeurs sûres en Iran ne sont ni la Charia, ni l'attente du Madhi mais le commerce et les bénéfices. C'est au nom de ces valeurs, également partagées par toutes les civilisations et idéologies, que les religieux vont lâcher Ahmadinejad.
Khameneï et Rafsandjani ne brillent pas par leur amour de la liberté. Si l'on excepte quelques réformettes symboliques, la liberté de parole, la place des femmes au sein de la société, la prise en compte des revendications estudantines, n'ont pas subies de grandes évolutions du temps de l'ancien président.
Il est illusoire de penser qu'un changement à la tête de l'Iran modifie substantiellement la politique énergétique de ce pays et donc, son accession au nucléaire (lire sur Primo Iran, la chute programmée, du 30/12/2006).
Le problème est que, Ahmadinejad ou Khamenei, le sentiment anti-Israël est encore trop profondément ancré dans l’idéologie chiite pour espérer, avant longtemps, un retour à des positions plus équilibrés de la part des maîtres de Téhéran.
Et comme le monde entier a parfaitement intégré le dogme idiot que la paix mondiale dépend des 20.000 kilomètres carrés que représente une petite et florissante démocratie, il n’est pas certain qu’un changement de régime en Iran modifie quoique ce soit à la pression que subira Israël dans les années ou mois à venir.
Il faut dire qu’en diplomatie plus que partout ailleurs, les dogmes ont la vie dure. Ce n’est pas au quai d’Orsay que l’on nous contredira.
Cela permet l’économie de la réflexion.