Où dérive Alexandre Adler ?
J'ai déjà parlé sur ce blog d'Alexandre Adler et des "réalistes", qui se flattent d'avoir gagné la guerre froide alors que leur idéologie a failli nous la faire perdre.
Alexandre Adler a tout du commentateur politique : il propose des raisonnements compliqués, où se mêlent diplomatie, politique, militaire, coups bas, revirement de situation... Quand je le lis, j'ai l'impression de revivre les guerres d'Italie : vous savez, Louis XII ayant fait campagne contre Naples en prenant la Lombardie aux Autrichiens, puis ayant fait retraite lorsque les Suisses lui avaient fait défaut après s'être alliés avec le Milanais lequel, fort du soutien du pape qui, entre deux orgies sexuelles, avait réussi à être en brisbille avec le Saint Empire Germanique et s'était lancé à l'assaut de Venise... N'en jetez plus ! Tout cela ne revêt-il pas la parure complotrice du gang de requins ? Ce que l'on appellerait des manoeuvres de despotes deviennent, sous la plume d'Alexandre Adler, des considérations géopolitiques.
Les élite françaises goûtent avec délice au style d'Adler. Il leur rappelle les fastes de la monarchie, les bruits de couloir d'un De Gaulle pour qui les Français étaient "des veaux", les manipulations d'information, les coups de menton de Napoléon, les trahisons des élites, l'arrogance de la cour, l'obséquiosité des colonisés... Et cette sensation bien réelle, dans la France d'en bas, d'être continuellement trahi...
Je l'ai déjà écrit, et je le maintiens, les réalistes sont des irresponsables. Ils se flattent d'un bilan que leurs idées n'ont jamais produit, au contraire, et préconisent toujours les mêmes remèdes pour guérir des maux qu'ils font empirer . Voyez plutôt la crise de 1962 : après les reculades de JFK à Cuba, les Russes s'enhardirent à envoyer des missiles intercontinentaux pour menacer les côtes américaines. Après treize jours de crise internationale, un accord secret entre le gouvernement US et l'URSS permit d'éviter une guerre nucléaire : les Russes retirèrent leurs missiles de Cuba qui menaçaient les Etats-Unis, les Etats-Unis retirèrent leurs missiles de Turquie, lesquels visaient le Kremlin. Tout a bien fini. Se frappant la poitrine de fierté, les réalistes vous diront, sans rire, que la crise de 1962 a été une merveilleuse victoire diplomatique à mettre sur le compte de Kennedy.
Dans leur esprit embrumé, la première partie de l'histoire a disparu. Un analyste objectif vous dirait que non, au contraire, l'épisode des missiles de Cuba prouve que les Russes ne craignaient pas Kennedy, et qu'ils l'ont humilié en osant déployer des ADM à quelques kilomètres des côtes de l'Oncle Sam. Et que si la crise s'est heureusement bien terminée, il faut se souvenir que c'est Kennedy qui est responsable de cet affront, notamment par sa politique d'apaisement à l'égard de Cuba. D'ailleurs, fort de s'être retiré de Cuba, l'insipide boy scout du Massachussets prévoyait également partir du Vietnam avant que la mort ne le rattrape à Dallas, une année plus tard. Depuis, personne, ou si peu, ne dénonce sa politique irresponsable, qui lui faisait dire, en juillet 1963 : "il faut changer notre regard sur l'URSS, nous partageons la même planète." Ou traduisez : je n'ai pas envie de me battre contre le totalitarisme, il nous faut vivre avec lui. La planète en a souffert. Les réalistes ont applaudi. Contraste.
Aujourd'hui, Adler, qui entretient de bons contacts avec les mollahs iraniens, recommande le dialogue avec Téhéran :
Ce sera désormais au leadership iranien de savoir s'il accepte des concessions substantielles, mais sans doute pas éternelles, en matière nucléaire, en échange d'une stabilisation chiite de l'Irak qui, dans le fond, apporte encore davantage aux dirigeants iraniens que l'obtention immédiate d'une bombe atomique en état de marche. Une telle alternative devrait pouvoir faire éclater pour de bon l'actuelle solidarité très précaire des principaux mollahs, depuis longtemps mise à mal par le grand écart entre le renforcement de la puissance externe de l'Iran et la poursuite de sa stagnation économique interne, malgré l'apport d'une rente pétrolière en expansion.
http://www.lefigaro.fr/debats/20061125.FIG000000733_quelle_bonne_strategie_americaine.html
Traduisez en français : donnez l'Irak à l'Iran, cela lui apporte plus que la bombe atomique. Ainsi, selon les réalistes, nous aurons gagné la bataille contre l'Iran quand nous aurons livré 15 millions de chiites à une théocratie islamiste qui veut rayer Israël de la carte. Adler ne réalise pas - ou feint-il d'ignorer - que l'Iran cherche à obtenir autant la bombe que la mainmise sur l'Irak, et que céder sur un front ne découragera pas les mollahs de batailler sur l'autre, au contraire. Dans un raisonnement réaliste made in 1938, livrer la République tchèque à Hitler était une manière de gagner diplomatiquement. Nos aïeux ont apprécié à leur manière cette "victoire" pendant la deuxième guerre...
Ainsi passent les réalistes.... S'accrochant à leur barque idéologique à la dérive, ils placent l'Occident en danger de mort en proclamant agir pour son bien.
Machiavel pensait avoir tout prévu. Mais jamais, dans ses écrits, il n'est mention de cette flamme de liberté qui fonda l'Italie moderne. Alors au diable les réalistes de bazar qui noient leur conscience malade sous la complexité des mots.
Ce n'est pas à eux que nous devons notre liberté.